mercredi 3 décembre 2008

41.

Il est tard. Les derniers métros foncent vers leur lit pour la nuit. Je m'y engouffre, la tête épuisée d'alcool, les poches pleines d'argent d'hommes en manque d'affection et fous d'un sourire qui ne vaut rien.

Après une série de noms de station, je ressors des profondeurs de la terre pour me rendre compte que plus aucun autobus ne passe. Les taxis sont rares et ceux qui passent sont déjà pris. J'ai la lourdeur d'une nuit de 7 heures qui me tombe sur la tête et un sac de vingt milles tonnes, il me semble, sur une épaule. Il ne fait pas si froid et j'aurais apprécié marcher le 20-25 minutes qu'il me fallait mais ce soir, c'était épuisant au travail, avec cet homme prêt à me donner un billet d'avion pour une des plages du Mexique, cet autre qui m'écrit un roman sur un bout de papier, pour me dire comment il a apprécié passer sa soirée avec moi et qui me laisse, en guise de signature, son numéro de téléphone. Sans oublier l'autre assis loin au bar, qui ne cessait de me regarder que pour boire sa bière. Où l'autre encore qui me commandait n'importe quoi que pour me parler alors qu'il savait pertinemment que je ne travaillais pas dans la section où il était assis.

Marcher dans cette nuit, c'était donc trop. Je me mets à chercher un taxi, en déniche un après une dizaine de minutes de marche même si je suis rendue à un point où ça ne vaut peut-être plus la peine d'en prendre un.

L'homme embraye immédiatement la conversation. "Tu as l'air fatiguée" qu'il me dit et je lui réponds qu'il a raison, en enchaînant la discussion sur un sujet plus léger que ma fatigue.

Le Taximan fait un U-Turn au milieu de la rue après lui avoir dit où je restais. On continue à parler et passe une rue sur laquelle je pensais qu'on tournerait. Il s'arrête sur le nom de ma rue pour se rendre compte qu'il s'agit d'un One Way. Nouveau U-Turn. Je regarde le compteur: déjà 4,35$ que pour revenir au point de départ. Il y a des choses plus dramatiques qu'un 5$ mais quand même. Je lui donne les intersections où aller et on y va, moi d'une conversation légère sur mes voyages qu'il me demande de raconter et lui d'un pied léger sur la pédale.

Sur le chemin, il parle d'enfants et je parle de liberté. Il parle d'amour et je parle de voyage. Il parle "dans l'ordre commun des choses qui va" et je parle divagation, légèreté et insouciance. Et dans un accent d'un pays chaud loin d'ici, il me demande mon âge et soudain, il comprend. Semble impressionné de mon passé, de mes expériences.

Le taxi arrive devant chez moi. Le compteur indique 7,90$ et je soupire de constater que pour ce montant là, j'aurais pu partir du centre-ville et arriver plus tôt chez moi. Je sors un dix, le lui tend. L'homme se retourne, me regarde dans la lumière du plafond du taxi. Ce sont tes vrais yeux, me demande-t-il. Et je lui réponds que oui, avec juste un dollar de retour, s'il vous plaît. Il me donne le rond, fixe son regard dans mes yeux, comme sans vraiment pouvoir y croire. Je m'empresse de sortir, d'un sourire et d'un merci poli.

En arrivant chez moi, c'est la noirceur de l'appartement et la glace du miroir qui m'accueille. "Ce sont tes vrais yeux?" qu'il me dit, et je me regarde dans le miroir en voyant deux pâles auréoles bleus-gris, fatiguées d'étinceler et vais me coucher sans vraiment comprendre l'étonnement du Taximan, ni plus ceux de tous ces hommes croisés au bar ou dans la rue, ceux d'aujourd'hui et ceux d'hier, et aussi, peut-être, fort probablement, ceux de demain...

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